L'ABANDON DU SOI



AVANT PROPOS

Cet entretien sur l'abandon du Soi n'est pas d'intérêt général et se prête peu à l'enseignement et encore moins à l'expérience. Entre autres, il s'agit d'un saut quantique depuis notre existence vibratoire densifiée et enfermée, à la vacuité la plus totale. À titre d'imagerie, imaginons-nous projetés dans le vide sidéral, dans le néant, en absence de toute localisation, en absence de haut, de bas, de gauche, de droite, de devant, de derrière, en absence de lumière où il n'y a personne d'autre que Soi au centre du cosmos.

À vrai dire, ce que la conscience conçoit comme le néant n'est rien d'autre que l'antichambre de l'Absolu, l'infinie Présence, le moment ultime où le Soi s'offre, dans une mort mystique, à la Lumière et ce, dans la confiance la plus totale, comme le font les enfants d'ailleurs. Pour la conscience, il n'y a aucun passage gradué de manière à passer du fini à infini, de l'ombre à la Lumière. Autrement dit, il y a stase, perte ou disparition de la conscience. C'est la disparition momentanée de la conscience dans ce que le Maitre a appelé «le Royaume des Cieux». C'est l'effacement du Soi au dévoilement de la Vie, de la Lumière, de notre Essence divine et immortelle. C'est la révélation ultime de ce que nous Sommes en Absolu, en Vérité.


L'ABANDON DU SOI

L'abandon du Soi est le geste ultime au-delà de toute forme de spiritualité, qu'elle soit rituelle, méditative ou spontanée. Lorsque la conscience finit par démasquer les aspects éphémères, redondants et illusoires de ce qui se vit en ce monde, lorsqu'elle reconnait la superficialité des expériences humaines, une certaine soif d'Absolu inonde la Psychée. On assiste donc à un retournement de l'âme et de l'esprit vers l'infini, vers la Lumière, vers la Source de toutes choses, à défaut de dire l'Absolu.

Alors que le mental et l'égo sont généralement identifiés à la matérialité, comment expliquer l'émergence d'une telle soif d'absoluité chez certaines personnes? Il y a vraiment une chose de non identifiée derrière le Soi, une intensité vibratoire ineffable générant une tension ascendante vers l'Esprit que vivent beaucoup d'âmes en quête de Vérité. Une telle expérience mystique se démarque totalement des conversions religieuses et du changement de paradigme imposé par les mouvements spirituels.

L'appel de l'Esprit se fait généralement sentir lorsque tous les artifices de la vie s'écroulent laissant la personne face à elle-même, en regard du néant. Le néant est le point de vue dévasté de l'égo ayant perdu tous ses repères, n'ayant plus de références, plus de points d'appui pour se redéfinir en tant que personne.

C'est le point zéro spirituel, voir un espace inconfortable où l'âme, détachée du monde illusoire, n'est pas encore arrimée aux hautes énergies des plans unifiés de l'univers. Il s'en suit donc un deuil, une certaine nuit noire comme l'ont décrit certains mystiques, voire une dépression qui va demeurer le temps nécessaire à un nouvel équilibre de la Psychée à cheval entre les dimensions.


LA MORT MYSTIQUE

L'abandon du soi se situe donc au terme des expériences de la vie où la conscience rend l'âme et le Soi dans une mort mystique. Qu'entendons-nous par mort mystique? Il s'agit de la mort de tout ce que l'on a cru être depuis l'enfance, l'agonie de notre identité illusoire, de notre petite personnalité. Il est évident que l'égo a toutes les raisons de croire à l'éminence d'une mort certaine. Il ne personnifie plus l'aspect volitif de sa vie tout en réfutant toute nouvelle existence éventuelle. Il va donc sonner l'alarme en dégainant son arme la plus puissante: l'épouvante de la mort. Quoi de plus terrifiant?

Les mystiques ont bel et bien décrit cette impasse par des expressions imagées: «le passage par la porte étroite», «la crucifixion et la résurrection». Jésus a lui-même évoqué ce passage impraticable pour certaines personnes en faisant un parallèle avec «un chameau devant passer par le trou d'une aiguille». Voilà donc le message ultime selon lequel, tous attachements, toutes personnes, toutes choses, toutes velléités qui s'interposent entre le Soi et l'Amour des Vérités éternelles doivent être abandonnées définitivement.

Tant que le mental n'est pas mort à son petit je, tant que la conscience n'a pas démasqué ses propres illusions, tant qu'elle n'a pas pris ses distances face à ses incessantes projections, nous demeurons persuadés que nous sommes ce corps, ces pensées, ces émotions, cette vie, ce karma, et tout le reste. Voilà donc en quelques mots ce qui nous enchaîne à ce monde, ce qui nous enferme sur nous-mêmes et ce qui nous éloigne éperdument de notre Vérité.


L'APPEL DE L'ESPRIT

Pour ceux et celles qui répondent à l'appel de l'Esprit, l'abandon du Soi peut se faire en cette vie où au moment du passage vers l'autre rive. Il convient de préciser qu'il ne nous est pas demandé d'abandonner nos biens matériels nécessaires au quotidien, de quitter conjoint et enfants, mais de nous libérer de l'emprise qu'exerce la matière sur notre vie. En dernier lieu, l'abandon du Soi n'implique pas la cessation de l'existence, mais la mort de l'illusion responsable de la séparation du Soi avec sa contrepartie spirituelle.

Curieusement, l'abandon n'est pas un mouvement qui relève de la volonté humaine, mais plutôt une capitulation de la pensée et de la volonté, à la manière dont nous nous abandonnons au sommeil. Il ne s'agit aucunement d'une quête, d'une démarche, d'une évolution menant vers un état supérieur. C'est plutôt une abdication de tous nos attachements, de notre vie, nous laissant vides, dénudés, conditions préalables à la fusion avec le divin.

Au risque d'aller à l'encontre de bien des enseignements spirituels, nous n'élevons pas notre esprit vers Dieu, pas plus que les pèlerinages nous conduisent au divin, bien que l'âme puisse y trouver un certain réconfort. C'est plutôt l'Esprit qui vient à notre rencontre lorsque nous sommes intérieurement prêts, exempts de toute présomption sur notre personne. N'est-il pas annoncé que «quand l'élève est prêt, le Maitre apparait?»

Notons que les pratiques religieuses traditionnelles dénotent toujours une volonté de plaire à Dieu, une requête personnelle dans les prières, une projection idéalisée du divin créant un phénomène de distanciation, d'éloignement, incompatible avec toute forme de communion intériorisée. À quelques exceptions près, n'est-ce pas les seules expériences religieuses connues à ce jour?


CONCLUSION

Ceux et celles pour qui à l'abandon du Soi fait peur n'ont qu'a commencer à s'interroger à quels rêves s'abandonnent-ils régulièrement? À quel éphémère s'en remettent-ils quant à leur destinée en ce monde? D'une manière prosaïque ou mystique, on s'abandonne toujours à quelque chose. Encore vaut-il être plus conscient des choix que l'on fait et des incidences sur notre vie.

Le concept d'évolution spirituel se prête bien à l'expression du «je» et à l'essor de l'âme. Pour le reste, l'abandon du Soi met un terme à toute forme de pratique dite spirituelle dans un sacrifice ultime appelé mort mystique.

De ce Passage, il s'en suit une libération de l'Étincelle de Lumière en tant que Vérité Absolue, une Renaissance à la Vie nous révélant à nous-mêmes dans ce que nous Sommes, de manière permanente, au-delà de toutes illusions.

Yvon Gagné


Quel sens revêt maintenant ces ultimes paroles du Maitre:
«Père, je remets mon esprit entre tes mains.»


On se suicide par identification extrême aux illusions de ce monde.
On abandonne le Soi par désidentification totale aux illusions
de  ce  monde.    La différence est  fondamentale.
L'un demeure enchainé, l'autre renait Libéré.


Le criminel troque ce qu'il «Est» pour la matérialité. Le mystique
abandonne ce qu'il «est» pour la Vérité.