LES ILLUSIONS



Combien de fois nous sommes-nous demandés à quoi rime toute notre vie? Quand tout va bien et que la vie nous sourit (mon rêve se réalise), nous ne nous posons pas ce genre de question embarrassante.

Mais, quand rien ne va plus après un certain temps, on commence à tout remettre en question. C'est la fin d'un rêve; c'est l'heure des comptes; c'est la dépression. Que se passe-t-il?

Nous ne comprenons pas l'origine des illusions. Nous les tenons tous pour réelles, comme les enfants d'ailleurs. Nous nous identifions tellement à nos expériences que le recul du Soi n'est vraiment pas possible. Trop souvent, nous sommes viscéralement attachées à notre personne, à notre corps, à nos pensées, à nos amours, à nos relations, à nos avoirs, à la matérialité, que nous oublions totalement qui nous Sommes vraiment. La peur de soi nous fait fuir toute question existentielle.

Pour quelle raison voudrions-nous accéder à un état qui nous libèrerait de nos attachements, justement ceux qui nous donnent l'illusion de vivre intensément? Et pourtant, cet enfermement du Soi nous rend extrêmement vulnérables, nous maintient dans l'éphémère et toujours à la merci des vicissitudes et des contingences de la vie matérielle.


Est-il possible de dégager en nous une certaine liberté d'esprit, un espace intérieur nous permettant d'Être tout simplement? Être dans le moment présent, sans projections fantasmagoriques? Avons-nous besoin d'aller vivre dans la forêt ou de nous retirer dans une grotte pour nous dégager de la pression qu'exerce le monde sur notre Psychée? Ces comportements extrêmes peuvent produire certains résultats individuellement, mais ne sont certainement pas envisageables collectivement.

Il existe des solutions beaucoup plus simples sur le plan physique, mais qui demande beaucoup plus de vigilance et de maturité sur le plan intérieur. Il s'agit, entre autres, de changer complètement notre regard sur nous-mêmes et sur notre vie. Nous devons devenir le Grand Observateur de notre vie.

La première constatation sera de voir que tout est illusions, le monde extérieur comme le monde intérieur. Nous projetons constamment toutes sortes de pensées, nous les renforçons par une visualisation continue, nous les matérialisons, et nous nous identifions à toutes ces créations qui ne font que passer. À vrai dire, nous devenons aussi éphémères que nos créations. Nous travaillons dans l'éphémère, nos amours reposent sur l'éphémère, nos divertissements le sont d'avantages encore. Qui plus est, nous disparaissons comme si nous n'avons jamais existé.

La deuxième constatation sera de prendre conscience que nous ne Sommes pas ces créations illusoires. Le Grand Observateur devra se distancier de tout ce qu'il observe, se distancer premièrement de son mental et de ses propres créations. Après un bon bout de temps, lorsque la désidentification sera rendu à terme, il ne restera plus que le Grand Observateur face à lui-même: le Soi, notre Présence réelle et effective incarnée, débarrassée de tout ce qu'elle n'est pas.


Cet exercice du Soi est une réelle désintoxication sur le plan spirituel. Il nous libère des influences indues de ce monde tout en nous permettant de demeurer sereins en ce milieu extraverti. Nous pouvons tout de même obtenir une maison, une voiture, conserver un emploi, demeurer seuls ou en couple, avec ou sans famille, peu importe.

Ce qui compte, c'est de se libérer de l'emprise hautaine et arrogante que toutes ces choses exercent sur notre égo. Nous devons cesser d'être le prolongement de nos objets matériels, cesser de projeter qu'une image sociale de nous-mêmes, si nous voulons être le reflet de ce que nous sommes vraiment.

Cette désidentification n'est pas un rejet, un déni ou un jugement de ce monde, mais une manière de le transcender. Pour mieux comprendre, prenons comme exemple une éducatrice dans une garderie d'enfants. Elle ne s'intéresse pas personnellement aux jeux des enfants, mais comprend leurs utilités. Elle participe à leurs illusions, leur raconte des histoires, les amuse tout en voyant ces simulacres pour ce qu'ils sont: des jeux pour les enfants. C'est ce positionnement par rapport à l'imaginaire des enfants qu'il lui permet de demeurer adulte et responsable, servant aussi d'inspiration à ceux et celles qui sont appelés à le devenir.


Tout n'est qu'un jeu de l'esprit. La conscience est incarnée dans ce corps, mais elle n'est ni ce corps ni ce qui l'entoure. Ceux qui font l'expérience d'une mort imminente savent très bien, qu'à leur retour sur terre, qu'ils ne sont pas ce corps qu'ils habitent à nouveau. Or, la conscience est immatérielle et porte le nom de Soi lorsqu'elle parvient à se dégager et à se distancer de tout ce qui est extérieur à elle-même. Elle a même un potentiel d'éternité lorsqu'elle s'identifie vraiment à l'Esprit divin qui l'habite, cette fois, sur un plan bien supérieur.

Les grands mystiques appellent cela l'abandon du Soi à Dieu, au Père, à la Lumière de l'Esprit, à la Source de toute chose. Ce geste ultime est loin d'être une illusion ou une évasion face à une vie insupportable comme on le constate dans de nombreux suicides.

L'abandon du Soi a lieu seulement lorsque la conscience s'est totalement affranchie de toute sa Psychée. À titre de comparaison, le suicide est une identification totale au complexe inférieur pensées-émotions à un point tel que, seule la mort fait office de délivrance. L'abandon mystique du Soi se situe à l'autre bout du spectre vibratoire, voire une désidentification complète du corps de matière dans un geste ultime de retour à la Lumière, à la Source du Soi. L'un implore la mort, l'autre s'abandonne à la Vie.


L'idée première que le monde est illusion vient de l'un des plus grands mystiques que l'humanité ait connu: Bouddha. Pour celui qui sait se fondre en Absolu, il va de soi que l'univers est une projection à l'échelle cosmique, se traduisant en illusion pour la conscience finie. Sagesse et discernement obligent, il sait appliquer, depuis son for intérieur, toutes les adaptations nécessaires propres au monde manifesté. Par exemple, doit-il porter secours à une personne en péril sous prétexte que ce qu'il voit n'est qu'illusion?

Ce n'est pas tant le monde et tout ce qui vit qui est illusoire, que la vision séparée que nous avons du monde qui n'est qu'illusions. Cette distinction est fondamentale à l'ascension à une véritable Conscience cosmique.


Dans la même veine, la plupart des personnes sont propulsées par des émotions et des rêves qui leur donnent, certes, le sentiment de vivre intensément. Pourtant, ce dont ils ne prennent pas conscience, c'est que ces tourbillons d'énergie les maintiennent enfermées en cette 3e dimension où les leurres les détournent constamment de la récognition de leur Être véritable.

La reconnaissance de notre Être passe nécessairement par le Soi, siège de la conscience supérieure, pour ne pas dire cosmique. Dans la mesure où la conscience s'applique à transcender le mental émotionnel, elle jouit d'une plus grande sensibilité à l'Esprit. Voilà un indice que le Soi se tourne vers la Lumière, sa Source, interpelé par «qui Suis-je?» .

La spiritualité du Soi est dorénavant fort simple, mais profonde, en réponse à un appel intérieur, à un retour à la Source. Les religions et les mouvements dits spirituels font office d'illusions et d'entraves au Soi dans une démarche qui se veut singulière et dans la plus grande intériorité.

Yvon Gagné


Les illusions n'ont aucune influence sur nous,
sauf celles que nous leur accordons par immaturité.


C'est le maintien de l'illusion qui est la cause de nos souffrances,
de nos maladies, fussent-elles notre folie.